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Si vous êtes un fidèle lecteur, vous savez que chez High concept nous aimons les analyses personnelles, les travaux universitaires, bref les gens qui, à l’instar d’Hercule Poirot, se servent de leurs petites cellules grises pour dévoiler la vérité (même si elle dérange) et faire avancer la cause de la fiction française. Carole Bertrand est de cette trempe et nous sommes heureux de vous la présenter dans ce billet.
Diplômée du MBA Esarts de l’EAC, Carole étudie dans un mémoire, que j’ai été amenée à parrainer, les performances des séries américaines et françaises sur nos écrans, détaillant les causes de la crise de la fiction française (crise installée depuis 2007, et qui semble perdurer malgré les quelques frétillements positifs observés ces derniers temps). Elle prouve entre autre que cette crise n’a pas été générée par l’arrivée massive de la fiction américaine sur les écrans français — comme on l’annonce souvent un peu vite —, mais que la fiction US a en quelques sortes déclenché une crise qui était latente dans l’ADN même de notre secteur culturel, secteur qui n’est plus industrialisé depuis l’après-guerre.L’arrivée des séries US sur nos écrans a donc été le révélateur de la crise, et non sa cause. En exclusivité pour High concept (bande de veinards), Carole se prête au jeu et vous livre son analyse, à raison d’un billet hebdomadaire jusqu’à la fin de l’année, renforçant ainsi nos cours dédiés au marché de la fiction.
Un retard français accumulé depuis plus de 60 ans
Carole Bertrand : « Tout commence en 1939, avec l’entrée en guerre de la France face à l’Allemagne. Les émissions de programmes télévisés français cessent, et l’émetteur situé au sommet de la Tour Eiffel est saboté pour ne pas être détourné par les allemands. La France entre alors dans une « pause » qui la retardera définitivement face aux américains.« Parallèlement, la télévision outre-atlantique a le vent en poupe.« On assiste, dés 1941, aux premières commercialisations grand public de téléviseurs aux USA. Les antennes de télévision, elles, s’ouvrent progressivement à la publicité. En 1940, deux ans après ABC, la station de radio CBS se lance à son tour dans la télévision : elle devient ainsi le deuxième network américain. « À Paris, sous l’occupation, la télévision est prise d’assaut par les allemands, qui y trouvent un outil de propagande idéal. Ce n’est qu’à la Libération que la grande aventure de la télévision française commence enfin. En 1945, la Radiodiffusion Française (RDF) est créée et est désormais seule autorisée à émettre. Elle deviendra en 1949 la RTF (Radiodiffusion-télévision française), conférant à la télévision française, désormais financée par les redevances, un statut exclusivement public.
L’apparition des écrans couleur marque l’avance des américains sur la TV française
« Si elle a lieu dés 1953 aux États-Unis sur la chaîne NBC, il faut, en France, attendre 1967 (soit presque 15ans !) pour voir le premier programme colorisé arriver sur la deuxième chaîne. De même, la chaîne NBC passe au tout couleur dés 1966 ; dans l’hexagone, la seconde chaîne à passer à la couleur n’est autre que TF1, en 1981… « En France, les années 1960 et 1970 sont celles de l’évolution technique du format de tournage ; la télévision quitte la vidéo et le filmage sur pellicule pour le format 16 mm, ou Super 16. Elle s’impose comme média emblématique en devenant un média de masse.
En 1968, 60% des français sont équipés de postes de télévision, contre 9% dix ans plus tôt. Le temps moyen d’écoute est de 2 heures par jour pour 8 heures de programmes quotidiennes. La télévision devient ainsi un outil familial et la principale distraction des français.
Aux USA, la télévision est caractérisée par une forte concurrence
« Les principales chaînes de télévision : ABC, CBS et NBC se disputent alors la première place.« En France, en 1964, avec le changement de statut de la RTF, qui devient l’ORTF (Office de radiodiffusion télévision française), le monopole de l’État disparaît mais les français n’ont toujours accès qu’à deux chaînes du même opérateur.
Le 1er octobre 1968, avec presque 25 ans de retard sur les Etats-Unis, la publicité arrive enfin à la télévision française, permettant de générer de nouveaux financements ainsi que le développement de la consommation.
« Alors qu’aux États-Unis se développe un réseau de distribution par câble permettant l’émergence de dizaines de chaînes thématiques, la France passe tranquillement de deux à trois chaînes en 1972.
Il faut attendre les années 80 pour voir émerger la télévision privée en France
« Canal +, première chaîne privée de France, est créée en 1984 et devient une rivale redoutable pour les trois autres chaînes.« En 1986, la cinq, dirigée par Sylvio Berlusconi, voit le jour.« L’année suivante, une sixième chaîne, également privée, est créée : M6.« Avec l’arrivée de la droite au pouvoir, on assiste, la même année, à l’un des événements majeurs de l’ère de la télévision commerciale : TF1 est privatisée. C’est la chaîne la plus populaire, elle devient immédiatement attractive pour les annonceurs qui se bousculent pour y acheter des espaces publicitaires. « Tandis qu’en France les années 1980 ouvrent un nouveau marché concurrentiel gouverné par la course à l’audience et aux revenus publicitaires, les networks américains, autrefois leader, perdent des parts de marché face aux nouveaux entrants, les chaînes câblées – notamment la Fox en 1986, la United Paramount Network (UPM) et The WB en 1995. « En France, le Plan câble de 1982 a pour objectif de raccorder 1,4 millions de foyers dans les trois ans mais la progression demeure lente. La diversification visée est bien atteinte, mais cela ne permet pas de remettre en cause la domination des grandes chaînes comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis. Il faudra attendre l’arrivée du numérique en 2005 pour cela – le retard pris face aux USA reste toujours de quelques 20 ans.
En 2005, la TNT introduit enfin une nouvelle donne concurrentielle
« Cette évolution représente une révolution, non seulement en matière d’offre (l’arrivée de la TNT a permis de passer de cinq à dix-huit puis à vingt-trois chaînes gratuites), mais également en termes de technologie (le passage de l’hertzien au numérique a notamment permis une meilleure définition de l’image).« La TNT remet également durement en question la position dominante des diffuseurs historiques dont les taux d’écoute s’érodent quasi mécaniquement sous l’effet de la multiplication des chaînes.« Aux Etats-Unis aujourd’hui, le système de télévision est partagé entre deux systèmes de réception dominants. D’un côté, la télévision hertzienne qui propose cinq réseaux nationaux privés : les trois networks historiques (ABC, CBS et NBC) représentant 1/3 du marché, et les deux réseaux challengers, Fox et The CW (fusion de UPN et The WB). De l’autre, la télévision par câble et par satellite, qui exige un abonnement payant comme HBO et Showtime, avec ou sans publicité, dont l’offre de programme n’a cessé de progresser depuis les années 1980.
Tout se passe comme si la France s’était contentée de digérer pendant 50 ans les produits culturels US à mesure que la production nationale prenait du retard, faute d’un PAF concurrentiel qui l’aurait obligé à développer une véritable industrie télévisée —notamment en matière de fictions, mais nous y reviendrons.Nous avons donc, d’un côté, une industrie rodée depuis un demi siècle à un secteur audiovisuel compétitif et agressif ; de l’autre, un long fleuve tranquille pour 5 opérateurs qui se sont partagés le gâteau pendant 30 ans, rattrappés par la nouvelle concurrence liée à la TNT…Un réveil brutal qui a engendré une dure remise en question de notre système.
« Nous reviendrons, dans un prochain chapitre, sur la crise de 2007 à travers une analyse plus profonde. Mais vous avez déjà un bon aperçu des raisons qui nous ont fait arriver là on l’on en est aujourd’hui. »Alors, hâte de connaître la suite ?
Cliquez sur les différents billets pour commencer le cycle :
- La fiction française à l’ère de la TV connectée ;
- Crise des séries TV françaises : une question de culture ? ;
- Les séries US ont-elles tué la fiction française ? ;
- La crise économique de la fiction française.
thierry
"la télévision quitte la pellicule pour le format 16 mm, ou Super 16, ancêtre du numérique."
Je crois qu'une petite rectif s'impose, non?
Elle quitte la vidéo plutôt, et encore, l'antenne est partagé entre la vidéo pure et filmage sur pellicule.
Et je ne vois pas en quoi le 16 est l'ancêtre du numérique..dans ces conditions tout est ancêtre du numérique, même les signaux de fumées… 🙂
Sinon, le reste est tristement instructif !
High concept
@Thierry: merci pour cette rectification que nous faisons avec plaisir. J'ai dû résumer certains passages du mémoire de Carole pour l'adapter au format de nos billets, j'espère qu'elle ne m'en tiendra pas rigueur et vous non plus :-).
stephane
Premier billet très très intéressant !!!
Donc en fait, c'est pas de la faute des séries US, c'est la faute des NAZIs !!
(petit raccourci)
merci, et vivement la suite.
Anonyme
Un gros bémol : est-ce qu'on essaie de nous "vendre" le tout privé à l'américaine ? L'industrie cinématographique US produit une mono culture qui n'est pas forcément au goût de tout le monde même si elle s'impose à tous et partout.
Prôner le recours massif à la Pub pour expliquer le "retard français", ça me semble très discutable même si la mono culture étatique ne me satisfait pas davantage.
Je serais plutôt d'avis d'inventer un système alternatif qui piocherait dans les avantages des deux paradigmes. Peut-être avec un CNC plus ouvert, qui permettrait l'accès de nouveaux arrivants dans ce petit monde bien fermé ?
Dominique
High concept
@Dominique: l'option que vous proposez a déjà été essayée… C'est l'objectif de notre système actuel. Malheureusement, pour assurer l'efficacité du CNC (ce qui lui est reproché ces derniers temps), il faudrait des modalités de contrôle et des grilles de lecture dont certains refusent même le postulat sans parler des coûts supplémentaires… La compétition des programmes, le financement par la pub ne sont pas forcément les meilleurs systèmes au monde, mais ce sont les seuls qui ont marché et abouti à une industrie puissante. Parions que si cela arrivait en France, nous serions capable d'imposer NOTRE culture…